L'affaire Ranucci
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[1] Article 81 du Code de Procédure Pénale.

 

 

L'INSTRUCTION

Le juge Ilda di Marino est chargé de l’instruction. La France, à la différence des pays de droit anglo-saxon, a choisi le système inquisitoire dans son système pénal. Dans un tel système, le juge d’instruction occupe une place prépondérante. Qualifié d’ « homme le plus puissant de France » par Napoléon, il dispose de pouvoirs étendus et doit instruire le dossier à charge et à décharge. Il travaille donc théoriquement tant pour l’accusation que pour la défense. Mais l’instruction de l’affaire Ranucci présente un certain nombre de carences, sans doute explicables par la pression qui pesait sur les épaules des magistrats d’aboutir à un résultat rapide, qu’il convient de relever.

Ilda di Marino n’a entendu Christian Ranucci que cinq fois. Dans le cadre d’une affaire d’une telle gravité, on peut s’étonner que le principal suspect n’ait été entendu que cinq fois, dont seulement deux en présence de ses avocats. Il est difficile pour un homme pris dans l’engrenage judiciaire d’assurer correctement sa défense dans de telles conditions, il est également difficile pour ses avocats de constituer un dossier à décharge quand le juge d’instruction s’empresse de compléter le dossier à charge.

Dans le même ordre d’idées, la reconstitution du crime s’est apparentée à une mascarade. Le jour de cette reconstitution, il est évident que la police a reçu de nombreuses menaces, et on craignait l’action d’un tireur isolé, décidé à venger la mort de la petite Rambla. Mais plutôt que de prendre des mesures à même d’assurer la protection de Ranucci, le juge di Marino a préféré effectuer la reconstitution à bord d’un fourgon de police sans presque jamais en descendre. Le fourgon s’est donc rendu successivement sur chacun des lieux de l’enlèvement et du meurtre, marquant une courte pause puis redémarrant sur les chapeaux de roue vers la prochaine étape. Il est d’autant plus préjudiciable qu’une telle reconstitution n’ait pu avoir lieu qu’elle aurait pu permettre de faire naître un doute quant à l’exactitude du témoignage des Aubert qui, rappelons-le, pèse très lourd dans le dossier de l’accusation.

Parmi ses nombreuses attributions, le juge d’instruction dispose du pouvoir de diligenter toutes les mesures qui lui semblent utiles pour les besoins du dossier. Une équipe d’experts psychiatres a donc été désignée. Elle devait établir si Christian Ranucci disposait de toutes ses facultés mentales, et si, dans le cas où il avait bien commis un meurtre, il était en pleine possession de ses moyens. Les psychiatres n’ont malheureusement pas exactement rempli cette mission. La question de la culpabilité de Ranucci n’était pas une supposition, elle était un postulat. Or il ne revient pas aux experts de juger de la culpabilité d’une personne mise en examen. En procédant ainsi, ils sortaient du cadre des fonctions qui leur ont été attribuées et une nouvelle équipe aurait dû être nommée afin de rendre un nouveau rapport.

Ainsi, lorsque l’instruction est close, le dossier à charge de l’accusation semble plus fourni que celui de la défense. Pourtant, un témoin inattendu et inespéré vient bouleverser cet état de fait.

Ce témoin se nomme Jeannine Mattéi. La mère de Christian l’a rencontrée au parloir de la prison car il se trouve que le fils de Madame Mattéi était lui aussi incarcéré aux Baumettes. Celle-ci révèle qu’un homme habillé d’un pull-over rouge, conduisant une Simca 1100 a tenté d’enlever sa fille ainsi qu’un autre enfant de sa cité en leur demandant de chercher avec lui son chien qu’il avait perdu. Convoquée à l’Evêché après l’arrestation de Christian avec d’autres habitants de la cité, aucun d’entre eux n’a reconnu en Christian l’homme qui s’était rendu coupable de ces agissements. Un homme correspondant au même signalement et utilisant le même modus operandi que l’homme qui a enlevé Marie Dolorès Rambla avait donc tenté déjà tenté d’enlever des enfants. Et d’après six témoins, cet homme n’était pas Christian Ranucci.

Lorsque Madame Mathon apprend cette nouvelle aux avocats de son fils, ils se montrent d’abord dubitatifs. Paul Lombard ne croit pas en ce témoin de dernière minute. Mais lorsque Mme Mathon lui apprend que la police a demandé à Mme Mattéi de se rendre à l’enterrement de Marie-Dolorès Rambla pour dire si elle reconnaissait dans la foule l’homme qui avait tenté d’enlever sa propre fille, et en d’autres termes, lorsque Paul Lombard découvre que le témoignage de Jeannine Mattéi a été retenu à un moment de l’enquête par la police, que ces déclarations ont été enregistrées par procès verbal, il voit enfin un moyen tangible de démontrer l’innocence de Christian.

Malgré la clôture de l’instruction, un complément d’enquête est ordonné par le Procureur de la République de Marseille. Madame Mattéi est donc entendue à nouveau par les services de police. Mais là, on ne retrouve pas trace de la plainte qu’elle a déposée à l’Evêché suite à l’agression de sa fille. Pas de trace non plus de sa confrontation avec Ranucci. Il semblerait que Madame Mattéi n’ait jamais été en contact avec les policiers ! Inutile de préciser que cette absence de preuve des dires de Madame Mattéi a pesé très lourd lors du procès et a aidé l’accusation et la partie civile à décrédibiliser le témoin de la défense.

Et pourtant, il semblerait que la police ait été au courant de l’affaire Mattéi. Le 5 juin au soir, le jour de l’arrestation de Ranucci, le commissaire central Cubaynes faisait des déclarations à la presse dans lesquelles il évoquait l’affaire Mattéi. Il est étonnant qu’un des chefs de l’Evêché ait été au courant dans les détails d’une affaire n’ayant pas donné lieu à un procès verbal. Ces déclarations du 5 juin au soir démontrent le lien qui existait pour la police entre l’affaire Ranucci et l’affaire Mattéi. Mais comme ni Madame Mattéi, ni les autres témoins des faits n’ont reconnu en Christian, l’homme au pull-over rouge et à la Simca 1100…

Une instruction menée trop rapidement n’a donc pas permis d’explorer toutes les pistes. Selon les textes, « le juge d'instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d'information qu'il juge utiles à la manifestation de la vérité. Il instruit à charge et à décharge1. » On peut légitimement s’interroger quant au respect de l’esprit et de la lettre de ces textes.

Le procès >>

 
 

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© Association Affaire Ranucci : pourquoi réviser ? Association régie par la loi du 1er juillet 1901
Numéro de parution 20020004, le 26 janvier 2002