LE PROCES
C’est le mardi 9 mars 1976 que débute
le procès de Christian Ranucci. Ouvert sous haute tension, le
procès fut mené par le Président Antona. La salle de la Cour
d’assises d’Aix-en-Provence, exiguë, qui prit rapidement l’allure
d’une étuve, ne facilita pas les débats. Ranucci attendait un
triomphe, la vérité de son innocence devait pour lui éclater au
grand jour… Naïvement, celui-ci pensait que l’Etat français
prendrait un profil bas, s’excuserait même. Or ce procès fut le
triomphe de l’accusation.
C’est une défense divisée qui arrive
au procès. Maître Lombard et son collaborateur Maître Le Forsonney
souhaitaient plaider l’innocence conformément à la volonté de
Ranucci. Le troisième avocat, Maître Fraticelli, considérait pour
sa part qu’il valait mieux plaider les circonstances atténuantes,
l’acquittement lui semblant être une issue impossible. Devant le
désaccord de ses confrères, il choisit de ne pas plaider mais de
prendre place sur le banc de la défense. L’impression que laissa
cette désunion ne fut qu’un élément de malchance parmi d’autres
pour Ranucci…
Déjà condamné par l’opinion publique,
Christian Ranucci excita le courroux de l’assistance et de la rue
par sa simple entrée, vêtu d’un costume bleu vif, arborant une
croix d’évêque, l’air impérieux. Il croit encore à une révélation
éclatante de son innocence.
Mais « la France a peur », et
la haine créée par l’assassinat de Philippe Bertrand par Patrick
Henry était prête à immoler Christian Ranucci.
Répondant par l’arrogance aux
portraits qui sont faits de lui, Ranucci se défend d’être le jeune
homme immature, entretenant des rapports troubles avec sa mère
dont le Président tente de résumer l’existence. Il combat bec et
ongles cette image de pauvre garçon dévoré par les problèmes
familiaux, problèmes qui auraient rejailli sur sa sexualité. En
somme, il n’acceptait pas d’entendre un faux portrait de lui sous
un quelconque prétexte de défense. Il ne plaidait pas les
circonstances atténuantes.
Mais cette arrogance joua contre lui.
Contestant l’ensemble du dossier, même dans ses détails les plus
anecdotiques, Ranucci suscita l’incompréhension et l’écœurement.
Il est ici nécessaire de s’attarder sur un épisode exemplaire du
procès. Revenant sur ses aveux, Ranucci niait désormais la version
de la police selon laquelle il aurait dormi à Salernes la veille
du crime et affirmait avoir passé la nuit à Marseille. Cette
obstination de l’accusé eut un effet désastreux et ne fit
qu’accroître l’incompréhension du public : pourquoi contester un
détail qui n’avait pas d’importance ? De plus, la défense ne
pouvait apporter de preuve pour appuyer ce fait. Dès lors, si
l’accusé mentait sur l’accessoire, il pouvait mentir sur le
principal. Or Gilles Perrault a pu montrer que Christian avait
bien passé la nuit précédant le crime à Marseille… Le commissaire
Alessandra le lui a confirmé lors d’une entrevue le 15 février
1978, ajoutant d’ailleurs que Ranucci y avait renversé un chien et
qu’un constat avait été établi. Le propriétaire du chien s’était
manifesté alors que l’instruction était close mais avant le
procès. La police n’avait alors pas jugé nécessaire de faire
connaître cet élément.
La lecture des aveux, la présentation
des pièces de l’affaire (arme du crime, vêtements…) renforçaient
inexorablement l’impression de culpabilité. D’autant que certains
incidents lors de l’audience se retournent contre Ranucci,
notamment les accusations de torture qu’il porte à l’encontre du
commissaire Alessandra… Concernant les aveux, Christian Ranucci
maintient sa ligne : « On m’a fait croire que j’étais coupable ».
Les photos de la victime eurent quant à elles l’effet escompté… Le
dégoût était à son comble.
Sur le chemin vers l’échafaud, Ranucci
a également rencontré les experts-psychiatres. Le professeur
Sutter témoigne à la barre pour exposer les conclusions d’un
rapport rédigé avec deux confrères, rapport concluant que l’accusé
n’était pas en état de démence au moment des faits. L’explication
psychologique du crime est la suivante : Ranucci, en proie à un
émoi sexuel, avait été submergé par une « vague émotionnelle »
au terme d’une série d’incidents. Dès lors, « l’émotion portée
au paroxysme, submerge la conscience et libère les instincts les
plus primitifs. » Dans le rapport, les experts sortent de leur
rôle en constatant qu’il était tout à fait possible pour Ranucci
de ramener la fillette chez elle ou d’inverser le processus. Or
l’expertise doit se borner à établir si l’accusé est en pleine
possession de ses moyens intellectuels et si un trouble quelconque
n’affecte pas sa lucidité. Ce qu’il faut ici avoir à l’esprit,
c’est que la culpabilité de Christian ne fait aucun doute pour le
professeur Sutter… En évoquant la possibilité de Ranucci
d’inverser le processus avec un peu de courage, mais constatant
qu’il ne l’a pas fait, le rapport des psychiatres écarte les
circonstances atténuantes.
Très attendu notamment par la défense,
le témoignage des époux Aubert marqua la première journée.
Elégants, précis dans leurs descriptions, les Aubert finirent de
convaincre l’assemblée de la culpabilité de Ranucci. Or les
failles de leurs dépositions furent habilement soulignées par la
défense : variations dans les déclarations, question de la
portière bloquée, première confrontation lors de laquelle ils
n’avaient pas reconnu Ranucci.
La première journée s’achève, la
défense est en partie abattue.
Mercredi 10 mars. « A mort Ranucci »,
peut-on lire en rouge sur les murs. Cette journée était l’espoir
de la défense. Elle commença par le fiasco du témoignage d’Eugène
Spinelli. Atout-maître des avocats, le témoignage de
Madame Mattéi se transforma en
pétard mouillé et l’impression fut si mauvaise que celle-ci frôla
l’accusation de faux témoignage… Sa fille ne fut pas entendue, pas
plus que les parents de l’autre enfant victime des agissements de
l’homme au pull-over rouge. Madame Mattéi fera face aux insultes
en sortant des assises, elle sera plus tard menacée de mort par le
père de Marie-Dolorès…
Plus grave encore, personne ne
comprend pourquoi il n’y a pas trace de sa plainte. Or Madame
Mattéi dit être allée trois fois à l’Evêché. Les PV réapparaîtront
plus tard…trop tard.
A ce moment, la défense avait perdu.
Face à elle, l’avocat de la partie
civile, Maître Gilbert Collard, fut excellent, redoublant
d’efforts pour amener Ranucci vers le pardon afin de lui éviter la
mort…
L’avocat général Viala charma
l’auditoire par sa performance. Il acheva sa plaidoirie par une
adresse à Ranucci : « Alors, maintenant, que Dieu vous assiste,
car vous êtes au-delà de la pitié des hommes ». La parole
était à la défense. Mais deux plaidoiries étaient-elles
suffisantes pour renverser l’opinion d’une salle déjà acquise à la
thèse de la culpabilité ?
Maître Le Forsonney était seul pour sa
première plaidoirie aux assises. Tandis que les journalistes
sortaient pour annoncer aux rédactions les réquisitions de
l’Avocat général, Maître Lombard s’éclipsa également, suivi par
Maître Fraticelli. Nullement détruit par l’adversité, il plaida
remarquablement, s’attaquant à la peine de mort. Or la plaidoirie
sur les faits fatigua l’assemblée… Le sort de Ranucci était
scellé.
Après la suspension d’audience, Maître
Lombard devait plaider. L’ambiance était terrible, marquée par la
colère et la haine. Angoissé, terrorisé par l’enjeu, l’avocat ne
plaida pas aussi bien qu’on l’avait espéré. Démontant malgré tout
un par un les éléments de l’accusation, il parvint à faire frémir
le public avec l’évocation de l’homme au pull-over rouge. A défaut
d’avoir pu convaincre de l’innocence, il venait de semer le doute.
Cette demi-victoire fut détruite par
un événement qui laissa tout le monde sans voix : l’Avocat général
reprit la parole pour répondre à Maître Lombard… Mais répondre
d’une façon singulière : par la présentation de cinq
procès-verbaux de police. Entendant Me Le Forsonney évoquer
l’homme au pull-over le matin même, des policiers assistant à
l’audience ont prévenu le commissaire Alessandra, qui a fait
acheminer les dépositions concernant l’homme au pull-over rouge à
Aix.
En résumé, les témoins de la
défense avaient été balayés par l’accusation pour le motif que
leurs dépositions étaient introuvables. Or on produit ces mêmes
dépositions une fois les plaidoiries de la défense achevées !
Recevant ces pièces, l’Avocat général savait qu’il risquait la
cassation, puisqu’elles n’avaient pas été communiquées à la
défense. Il décida de les produire malgré tout, pensant peut-être
remettre ainsi à d’autres le soin de décider quel sort devait être
réservé à Ranucci. Mais la façon dont il en rendit compte, loin de
servir la défense, acheva de l’abattre. Il utilisa les PV pour
démolir les derniers doutes, jouant sur leur contenu. En
l’occurrence, l’Avocat général sous-entendit qu’un des témoins de
la défense avait menti car il avait évoqué à la barre un homme au
pull-over rouge, alors que les procès verbaux indiquaient qu’il
était vêtu d’un pull-over vert. Or cet homme au pull-over vert
avait bien été cité mais dans une affaire qui n’avait rien à voir
avec l’affaire Ranucci. Et sur les cinq procès verbaux qu’a
utilisé l’Avocat général à l’appui de son argumentation, les
quatre autres portaient la mention d’un homme au pull-over rouge…
L’effet sur l’audience fut
certainement dévastateur et la défense, peut être trop éprouvée,
ne réagit pas à ce coup de grâce, pensant que la cassation était
acquise.
Après délibération, les jurés et la
cour répondirent par l’affirmative à la question de la culpabilité
et rejetèrent les circonstances atténuantes. Ranucci était
condamné à mort.
Ce fut l’hystérie dans la salle des
pas perdus, certains exigèrent une mort immédiate, crièrent leur
joie, tentèrent de lyncher la mère du condamné. Maître Collard,
l’avocat du père de la victime, fut agressé pour avoir plaidé
contre la peine de mort.
La défense annonça immédiatement
qu’elle allait se pourvoir en cassation. Mais une nouvelle fois,
leurs espérances furent anéanties lorsque le 17 juin 1976 la Cour
de cassation rejeta le pourvoi formé contre l’arrêt de
condamnation.
Le président Giscard d’Estaing ayant
décidé, pour des
motifs variés mais manifestement avant tout politiques, de ne
pas lui accorder la grâce, Christian Ranucci fut exécuté le 28
juillet 1976.
Retour à
l'accueil >> |