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LE CONTEXTE
Christian Ranucci disait qu’à la
loterie de la vie, il avait « tiré le gros lot du malheur ».
L’affaire Ranucci survint en effet dans un contexte et un
enchaînement de circonstances qui ont largement précipité son
exécution.
Au début des années 1970, pourtant,
l’atmosphère paraît favorable à la perspective de l’abolition
de la peine de mort qui, il convient de le préciser, reste alors
en Europe une exception française. Sur cette question, d’abord, la
personnalité de Georges Pompidou tranche avec celle du général de
Gaulle. Dans l’Abolition, Robert Badinter rappelle aussi à
quel point la croissance économique, la fin des conflits de
décolonisation, l’évolution des idées et des sensibilités, dont
témoignait l’explosion de Mai 1968, laissaient penser que la peine
de mort ne survivrait plus longtemps. D’ailleurs, les sondages de
l’époque montrent que les Français étaient alors de moins en
moins favorables à l’idée de la peine capitale. En 1960, 38%
des Français se déclaraient favorables à la peine de mort. Un
chiffre qui tombe à 34% en juillet 1962 et à 33% en 1969, selon
trois sondages réalisés par le Figaro. En octobre 1969, 58%
des Français se prononçaient même en faveur de l’abolition. A
cette époque, la longue campagne de l’Association contre la peine
de mort, menée par sa présidente, Georgie Vierney, paraissait sur
le point d’aboutir.
Cependant, le drame de Clairvaux (ou
l’affaire Buffet-Bontems) qui survient en septembre 1971, mit un
terme à cette évolution. Reconnus coupables de la prise en otages
et du meurtre d’un gardien et d’une infirmière, dans la centrale
de Clairvaux, Buffet et Bontems furent exécutés le 28 novembre
1972, au terme d’une affaire et d’un procès qui suscitèrent une
grande émotion et renversèrent même la tendance au sein de
l’opinion vis-à-vis de la peine capitale. La veille de la
double exécution, 63% des français se déclaraient favorables au
maintien de la peine de mort. Il faut dire qu’à l’époque, les
affaires se multiplient et le recours à la peine de mort se
systématise. Le 4 octobre 1971, Mohamed Lahdiri, le meurtrier d’un
chauffeur de taxi niçois, est condamné à mort par la Cour
d’assises des Alpes Maritimes, sous les applaudissements du
public. Le 26 octobre, Jean Pierre Boursereau, meurtrier d’un
brigadier de police, connaît le même sort. Pompidou accorde la
grâce à certains de ces condamnés (Mohamed Lahdiri, Jean-Michel
Guimut) mais maintient la condamnation à la peine capitale contre
d’autres. Parmi ces derniers, Ali Benyaes, ouvrier agricole,
reconnu coupable du meurtre d’une fillette et d’agressions contre
sa mère. Pompidou dira que « dans certains cas, la peine de
mort se justifie. »
L’élection de Valéry Giscard d’Estaing
en mai 1974 fait figure de bonne nouvelle pour les
abolitionnistes. S’il demeure énigmatique sur de nombreuses
questions, le nouveau président se déclare « opposé par
principe » à la peine de mort. Il pose même en prison où
il serre la main d’un détenu. En revanche, le gouvernement
semble beaucoup plus hostile à l’abolition. Le 4 février 1975,
Michel Poniatowski, alors ministre de l’Intérieur, énonce
plusieurs cas (otages, crimes contre des enfants ou contre des
personnes âgées) dans lesquels la peine capitale trouve une
justification. Curieusement, en août 1975, lorsque le général
Franco exécute cinq prisonniers politiques, avant de prendre un
bon nombre de mesures sécuritaires, la France se montre très
discrète. Jean Lecanuet, garde des Sceaux reçoit alors
régulièrement des journalistes à la Chancellerie (notamment après
la condamnation de Bruno T., un jeune homme de dix sept ans, à la
peine capitale pour avoir tué une personne âgée) et affirme qu’il
« est nécessaire de maintenir une force de dissuasion. »
Survient alors, en janvier 1976, c’est
à dire juste avant le procès de Christian Ranucci, l’affaire qui
allait définitivement conditionner l’opinion publique : celle de
Patrick Henry.
Le 30 janvier 1976, à Troyes, le petit
Philippe Bertrand ne rentre pas de l'école pour déjeuner chez ses
parents. Ces derniers, affolés, préviennent la police. Le soir,
alors que les premières recherches ont commencé, un appel
téléphonique parvient à la famille. Au bout du fil, un homme
plutôt courtois, s'exprimant bien, réclame un million de francs
pour rendre l'enfant qu'il a kidnappé. L'émotion, à travers la
France, est intense car il s'agit de l'un des premiers
kidnappings médiatisés. Le suspect, cette fois rapidement
identifié, est interpellé au petit matin dans l'appartement qu'il
partage, avec son frère, à Troyes. Patrick Henry a 23 ans; c'est
un jeune homme d'apparence banale. Très vite, les policiers
découvrent qu'il connaît la famille du petit Bertrand, qu'il a
fréquenté la même école et, surtout, les enquêteurs relèvent des
incohérences dans son emploi du temps. Remis en liberté, il fait
cette fameuse déclaration télévisée: « Ceux qui ont fait cela
méritent la peine de mort », et indique à un journaliste de
Paris Match que tous ses amis savent qu'il est incapable d'un
tel meurtre. Le 17 février 1976, pourtant, la police l’interpelle.
Le ministre de l'Intérieur, Michel Poniatowski, et celui de la
Justice, Jean Lecanuet, n'hésitent pas à déclarer que Patrick
Henry mérite la mort. Jacques Chirac, alors premier ministre, sera
obligé de rappeler à l’ordre plusieurs de ses ministres qui ont
fait pression sur la justice, lors d’un conseil des ministres.
Finalement, le 20 janvier 1977, Patrick Henry sera condamné à la
réclusion à perpétuité.
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